Vermeer et les maîtres de la peinture de genre

Tout le monde a dit que l’exposition « Vermeer et les maîtres de la peinture de genre » au Louvre est une incontournable de la saison. Le simple fait d’avoir réuni douze des trente-sept tableaux du « sphinx de Delft » fait de l’exposition un événement. Mais de là à parler d’incontournable ? Retour sur l’un des événements les plus bruyants de l’actualité culturelle.

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Dame au collier de perles, Johannes Vermeer (1664)

QU’EST-CE QUE LA PEINTURE DE GENRE ?

Pour commencer, l’exposition nous fait découvrir un type de peinture spécifique, celui de la peinture de genre du 17ème siècle hollandais. Ainsi se croisent sur les murs des toiles de Pieter de Hooch, Gerard Ter Borch ou encore Gabriel Metsu. La peinture de genre peut se définir simplement comme une illustration de la vie quotidienne, caractérisée par une anti-théâtralité presque catégorique. Pourtant, j’aurais tendance à trouver que Vermeer, contrairement à ses pairs, raconte encore beaucoup d’histoires dans ses tableaux, avec une mise en scène extrêmement soignée. Ce qui permet au final de rassembler tous ces peintres de différents lieux de Hollande, c’est leur intérêt systématique pour le réel, le concret. Ils peignent ce qui est proche d’eux, et cela se ressent dans la sobriété des tons, la représentation de gens du peuple, de gens à l’ouvrage comme la célébrissime Laitière de Vermeer.

Les sujets de ces peintres écrivent des lettres, comme on le voit dans le Jeune homme écrivant une lettre de Metsu et dans son pendant Jeune femme lisant une lettre du même artiste, ils jouent de la musique comme dans la Jeune femme assise au virginal de Vermeer, et font leur toilette. Les moments sont arrêtés, particulièrement chez Vermeer qui est surnommé non sans raison le peintre du silence. Ainsi, dans ces tableaux se dégage un calme parfait, comme un arrêt sur image dans le quotidien, un moment que prend le peintre pour regarder. Le superbe tableau Jeune fille au collier de perles, de Vermeer toujours, illustre parfaitement ce moment capturé.

ET L’ELEVE DEPASSA LE MAITRE

Je ne connaissais pas Gerard Ter Borch, mais à l’évidence, les autres peintres de l’exposition, eux, le connaissaient bien. Il apparaît comme un modèle, innovateur en tous points : tous les motifs, toutes les « variations » de la peinture de genre semblent venir de lui. Une salle en particulier s’intéresse au motif de la visite, et nous permet de voir nettement l’influence de Ter Borch sur ses contemporains : comparer la Visite du Prétendant de Ter Borch aux variations des autres peintres sur le même thème met instantanément en lumière la similitude et l’inspiration qu’ils puisent chez Ter Borch. Ce dernier s’est imposé comme une référence, et ses satins particulièrement ont marqué les autres peintres qui tentent de l’égaler et de le surpasser.

Mais face à lui se place Vermeer. Sur un mur de tableaux où sont exposés un Vermeer et cinq autres toiles, le Vermeer se voit de loin. Si l’inspiration de Ter Borch est aussi visible que chez d’autres artistes, l’illustre peintre a su se détacher du modèle classique. Son travail sur les lumières est particulièrement frappant de précision, de beauté et de subtilité. De tous, c’est lui qui a su le mieux retranscrire les reflets, les dégradés, les impacts d’une lumière dont il maîtrise tous les grains. Son style reconnaissable ajoute une douceur à tous les visages, par cela même qu’il s’est toujours refusé au dessin, et que sa peinture, impressionniste avant l’heure, se construit sur des taches superposées de couleurs. En plus de cela, ses sujets semblent plus humains, parce que Vermeer est un peintre poétique, et ses scènes transpirent d’une émotion douce mais profondément touchante.

VERMEER, FÉMINISTE ?

L’univers de Vermeer est presque exclusivement féminin : des femmes jouant de la musique, ou à leur toilette, des femmes lisant des lettres, dormant, travaillant, etc… Le peintre semble s’intéresser bien plus encore que ses contemporains au milieu domestique, majoritairement féminin à cette époque. Mais là où un autre aurait pu se contenter de montrer des ménagères à l’ouvrage, Vermeer nous offre un regard plus large de la femme dans son intimité. On peut supposer que sa relation privilégiée avec son épouse, Catharina Vermeer, l’a rendu plus sensible à la cause féminine. Quoi qu’il en soit, il propose une vraie palette de figures féminines, dans leur intimité et souvent seules, ce qui permet de montrer une vision plus personnelle des personnages. La célèbre Dentellière est absorbée dans son ouvrage, et si le tableau comporte sur le fond un jugement moral sur l’assiduité et l’application, il n’en montre pas moins une femme en pleine activité noble, qui n’est pas une victime d’un rôle stéréotypé de ménagère, mais à qui on peut presque attribuer une dimension artistique. Dans un autre genre, la Femme à la balance est une figure très forte : symbole d’humilité par l’équilibre parfait de la balance qu’elle tient, son placement dans le tableau devant un autre tableau intégré représentant le Jugement Dernier, auréolée qu’elle est de la figure du Christ, semble lui conférer un caractère presque divin, ou en tout cas une sainteté puissante et rayonnante.

Par toutes ces figures, Vermeer témoigne d’une attention très grande et d’un respect appréciable de la femme qu’il dépeint. Loin de se rallier à un stéréotype, alors très commun dans la peinture de genre hollandaise, il peint des êtres humains, sensibles et actifs, dans une démarche qui, bien sûr, n’est pas féministe à la base, mais peut avoir une lecture encourageante dans le sens de la représentation des femmes en art. C’est peut-être un détail par rapport à toutes les problématiques que soulève la peinture vermeerienne, mais c’est un détail que mon regard moderne a relevé.

BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN

Cette formule empruntée à Shakespeare est évidemment une exagération. L’exposition est loin d’être mauvaise, mais elle n’est pas irréprochable. Les œuvres sont superbes, bien sûr, et les Vermeer particulièrement sont un bijou à contempler. Je salue tous les efforts faits lors de la constitution de la collection exposée. Certaines toiles iconiques du peintre sont présentes comme la sublime Allégorie de la foi catholique qui clôt l’exposition, et l’agencement des toiles permet une réelle compréhension de Vermeer au travers d’une comparaison avec ses contemporains.

Néanmoins, on peut reprocher la communication assez marketing de l’événement, qui s’est attaché surtout à ramener du monde en capitalisant sur un peintre de renommée mondiale, éclipsant les autres artistes présentés. De plus, l’exposition n’est pas très grande, et une heure suffit à profiter des tableaux. Après deux heures de queue, on reste sur sa faim et le bruit que l’événement a provoqué crée une attente ridicule et inatteignable qui entame un peu le plaisir de l’exposition.

Je maintiens que c’est une bonne exposition, très bonne même, et vraiment intéressante, mais je crois que le marketing qui s’est développé autour est devenu polluant. Allez voir l’exposition, bien sûr, si vous aimez la peinture hollandaise, si vous voulez voir ou revoir des tableaux de Vermeer et découvrir ses contemporains ; n’y allez pas par consommation passive. Allez la voir pour le plaisir de voir de belles toiles, tout simplement.

En complément, je vous laisse avec comme toujours le dossier de presse, ainsi que quelques œuvres de l’exposition. Et pour parfaire votre visite, quand vous serez au Louvre, je vous invite à aller voir l’exposition sur Rembrandt et celle sur le siècle d’or hollandais, deux petites expositions temporaires qui compléteront celle-ci.

Au plaisir d’une tasse de thé,

Alex K.

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